IX
Substance Grise lui avait fait quelque chose aux yeux. Cela s’était passé durant son sommeil, au cours de sa première nuit à bord. Il se réveilla, au matin, en entendant les trilles des oiseaux couvrant le bruit lointain des cascades ; il sentait l’odeur de la résine de pin. Un mur de sa cabine représentait une fenêtre située tout en haut d’une chaîne de montagnes couvertes de végétation. Il avait le souvenir de quelque chose d’étrange, d’un événement profondément enfoui, à moitié réel, à moitié irréel. Mais il lui échappait tandis qu’il reprenait conscience. Sa vue demeura brouillée quelques instants, puis redevint progressivement claire tandis qu’il se souvenait que le vaisseau lui avait demandé, la veille, s’il pouvait lui implanter des nanotechs pendant son sommeil. Ses yeux le picotaient un peu. Il essuya quelques larmes, mais tout semblait sur le point de redevenir normal.
— Vaisseau ? appela-t-il.
— Oui ? répondit la cabine.
— C’est fini ? Les implants ?
— Oui. Vous avez un lacis neural modifié dans le crâne. Il faudra attendre un jour ou deux pour qu’il se mette correctement en place. J’ai accéléré quelques petits travaux de reconstruction que votre système laissait traîner dans la région de votre cortex visuel. Vous êtes-vous cogné la tête récemment ?
— Oui. Je suis tombé d’une voiture.
— Comment sont vos yeux ?
— Ils me font un peu mal, et la vision est floue. Mais ça va mieux, maintenant.
— Tout à l’heure, nous ferons une simulation de ce qui va se passer quand vous serez interfacé avec les hangars de Stockage de Service Couchettes. Vous êtes d’accord ?
— Très bien. Comment s’annonce le rendez-vous avec Couchettes ?
— Tout est prêt. Votre transfert pourra avoir lieu dans quatre jours.
— Parfait. Et comment évolue la guerre ?
— Il ne se passe pas grand-chose. Pourquoi ?
— Juste pour savoir, fit Genar-Hofoen. Il n’y a pas encore eu d’engagements importants ? Ils prennent toujours des vaisseaux de croisière en otage ?
— Je ne suis pas un service d’information, Genar-Hofoen. Vous avez un terminal, ce me semble. Pourquoi ne pas l’utiliser ?
— Merci de votre aide, murmura l’humain en se laissant glisser au bas de son lit.
Il n’avait jamais rencontré de vaisseau aussi peu serviable. Il alla prendre son petit déjeuner ; il devrait être au moins capable de lui fournir cela.
Il s’assit, tout seul, au milieu du réfectoire principal du vaisseau, absorbé dans la contemplation de son programme d’information préféré de la Culture par l’intermédiaire d’un holo projeté par son terminal. Après l’émotion suscitée par les premiers arraisonnements d’Orbitales et de vaisseaux privés perpétrés par l’Affront sans que la Culture riposte militairement, sinon en parlant de mobilisations en cours (invariablement, en dehors du champ de perception du service d’information qui en faisait état), la guerre semblait entrée dans une période de calme relatif. Pour le moment, le service d’information passait un reportage à moitié sérieux sur la manière de se concilier les bonnes grâces d’un Affronteur, si l’on en rencontrait un sur son chemin.
C’est à ce moment précis que le rêve qu’il avait fait la nuit dernière – celui qu’il se rappelait à demi lorsqu’il s’était réveillé – lui revint soudain en mémoire.